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Exclusif« L’arrivée des fonds, un levier de compétitivité pour l’enseignement supérieur » (B. Belletante)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Tribune n°177208 - Publié le 09/03/2020 à 17:06
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©  Seb Lascoux
Bernard Belletante - ©  Seb Lascoux

« L’arrivée des fonds est un formidable levier de compétitivité pour l’enseignement supérieur. Il est impératif de choisir des fonds en cohérence avec les réalités de l’éducation. Comme dans les autres industries, il y aura de nombreux succès, mais aussi des accidents. L’enseignement supérieur entre dans la vraie vie », indique Bernard Belletante Président Fondateur @ Trajecthoard
, ancien DG et vice-président du conseil de surveillance d’EMLyon, dans une tribune pour News Tank, le 09/03/2020.

« En septembre 2019, EMLyon business school accueille dans son capital le fonds d’investissement Qualium et Bpifrance Bpifrance est une banque publique d’investissement qui s’implique notamment dans l’innovation et le transfert de technologies. . Le 06/03/2020, Galileo Global Education Le groupe a racheté Studialis en 2015. , premier groupe éducatif européen annonce un nouvel actionnariat avec l’entrée de Téthys Invest, le fonds de retraite canadien CCPIB (Canada pension plan investment board), le fonds long terme de Montagu et toujours Bpifrance », ajoute-t-il.

Pour Bernard Belletante, « ces deux exemples confirment l’arrivée de la finance sur tous les segments de l’enseignement supérieur. Comme toute innovation, cela déclenche une levée de boucliers. Pour des raisons concurrentielles ou idéologiques, dans la sempiternelle querelle public/privé, une partie de l’enseignement supérieur prédit l’échec, la baisse de qualité, la fin de la liberté académique. Passer de “privé” à “fonds financiers” fait monter l’indignation de plusieurs crans ».

« Ces prises de position révèlent une vision de court terme, et une méconnaissance de l’industrie financière », poursuit l’ancien directeur général d’EMLyon.

« Le financement privé n’est pas juste un sujet de ressources et de profit. Il relève d’une cohérence tri-dimensionnelle. Des investisseurs privés financent un projet stratégique, porté et mis en œuvre par une gouvernance opérationnelle, pour une durée et une rémunération cohérentes avec le projet stratégique.

Cette cohérence est rendue possible car, pour soutenir la diversité des projets industriels, existe une diversité d’investisseurs, des professionnels du financement (des fonds) qui sont très différents les uns des autres par leur financement, leur durée d’investissement, leur exigence de rentabilité, leur vision économique », poursuit-il.

Selon Bernard Belletante, « condamner l’intervention des fonds dans l’enseignement supérieur en prenant pour exemple des fonds dits “spéculatifs” révèle une méconnaissance profonde de la réalité financière ».


Le financement privé : « une solution pour faire face aux besoins financiers croissants »

Pour Bernard Belletante, préciser « la différence de nature des fonds au moment où le financement privé devient une solution incontournable au développement du système éducatif, dans le monde et en particulier en France ».

« Le financement privé est une solution pour faire face aux besoins financiers de l’enseignement supérieur qui vont être croissants.

Premièrement, au moment où le numérique transforme notre société de stocks en une société de flux, l’enseignement supérieur doit investir pour préparer les apprenants, tout au long de leur vie, aux ruptures scientifiques et industrielles, aux nouveaux modèles économiques, à la perméabilité des espaces nationaux, à la diversité des temps et à l’exigence écologique.

Autant de défis qui appellent des parcours de formation hybrides ; hybrides dans les contenus, dans les méthodes, dans le temps, dans les espaces. Ce sera de même pour les contributions intellectuelles et les activités support ».

« L'éducation commence à devenir une industrie capitalistique »

« Deuxièmement, l’enseignement supérieur devra aussi se transformer : l’éducation commence à devenir une industrie capitalistique à rendements croissants. De quoi revoir tous les modèles.

Ces éléments font émerger une forte demande d’investissements, estimée par exemple pour les sept prochaines années pour les grandes écoles françaises de management entre 1,5 et 2 Md€. On imagine ce que cela donne à l’échelle du système éducatif français.

Ces défis ne pourront pas être portés par la puissance publique en raison d’un indiscutable effet de ciseau. D’une part les dépenses publiques ne peuvent plus augmenter et d’autre part la défense des statuts accumulés depuis cinquante ans oriente vers l’exploitation des milliards qui manqueront à l’investissement.

Le financement privé permettra aussi à des structures éducatives de changer d’actionnaire et de maintenir leur excellence. Le cas français des écoles consulaires est un exemple :

  • D’une part, les CCI ont des financements de plus en plus limités et leur modèle est très fortement questionné.
  • D’autre part, la logique de subventions qui a prévalu a conduit des structures à ne pas être suffisamment vigilantes sur leur qualité de gestion (un simple équilibre recettes/dépenses n’est économiquement pas cohérent).

La question est donc de savoir qui peut assurer, de manière non marginale, les investissements nécessaires au maintien de la compétitivité de ces écoles », poursuit l’ancien DG d’EMLyon.

« Le financement privé facilitera la réconciliation entre temps économique et temps académique »

« Le financement privé facilitera la réconciliation entre temps économique et temps académique. Aujourd’hui, si toutes les entreprises sont à la recherche de compétences et si en même temps le taux de chômage reste élevé, si des formations ne débouchent pas sur l’emploi, c’est en raison d’un décalage entre les besoins du monde socio-économique et les formations académiques, quel que soit leur niveau.

Une gestion privée assurera plus de flexibilité »

La raison en est l’extrême rigidité administrative freinant l’évolution et la création rapides des programmes.

Une gestion privée assurera plus de flexibilité, parfois en allant jusqu’au bout de la logique : certaines formations ne demanderont pas le visa de l’Etat afin d’être les plus flexibles.

Le financement privé est à même aussi de mettre en œuvre des parcours extrêmement innovants, répondant aux nouvelles compétences requises par les entreprises.

Des fonds structurent des grands groupes éducatifs ayant un large portefeuille d’universités, d’écoles dans tous les domaines et dans de nombreux pays.

En Afrique, en Asie, en Amérique latine, ils suppléent aux lacunes du système public, trop coupé des réalités du monde économique. Ils ne s’adressent pas aux “élites” qui partent aux États-Unis mais aux classes moyennes et aux ETI Entreprise de taille intermédiaire qui seront la clé d’une croissance pérenne.

Globalement, en rassemblant différentes structures éducatives dans différents pays, ils offrent une richesse de parcours quasi-impossible à réaliser par un secteur public national ou très longue à mettre en œuvre par des acteurs privés isolés ».

« Voir arriver les Gafa dans l’éducation n’est pas une imagination »

« Le financement privé est aussi apporteur d’une vision sociétale du financement de l’enseignement supérieur. Des établissements privés, sans subvention publique, assurant un emploi à leurs diplômés sont créateurs d’une valeur additionnelle car ne consommant aucune ressource issue de l’impôt.

J’ai volontairement utilisé le terme de financement privé. J’ai entendu plusieurs experts dire qu’il fallait encourager ce financement mais en évitant les fonds. Cela veut dire faire appel à des entreprises ou des particuliers.

Les particuliers utilisent des véhicules qui sont des fonds, les entreprises peuvent investir dans des écoles proches de leur activité (comme en Allemagne) mais hésitent à construire des groupes d’enseignement diversifié. Mais voir arriver les Gafa Google, Apple, Facebook, Amazon dans l’éducation n’est pas une imagination. Ce sera une autre forme de compétition ».

Les fonds financiers font l’objet de nombreuses critiques

« Les fonds financiers de par leur essence, de par leur diversité, de par leur puissance financière sont les structures qui aujourd’hui offrent des opportunités d’excellence et de compétitivité, comme dans toutes les autres industries. Même si cela est compris, ils font néanmoins l’objet de nombreuses critiques », écrit Bernard Belletante.

« Cohérence entre cycle de financement et cycle de production »

« La première critique contre l’arrivée de fonds est que leur vision à court terme n’est pas compatible avec l’enseignement supérieur. D’un point de vue stratégie financière, il doit y avoir cohérence entre le cycle de financement et le cycle de production.

Quelle est la durée d’un cycle de production dans l’enseignement supérieur ? En ce qui concerne les programmes, les bachelors sont de trois à quatre ans, les masters de un à deux ans, et rares sont les programmes de formation continue supérieurs à un an. Les cycles de production diplômants sont donc inférieurs ou égaux à trois ans.

La réduction du cycle est à anticiper »

Cette vision changera avec la montée en puissance des logiques modulaires et de la nouvelle dimension omnicanale de la pédagogie ; la réduction du cycle est à anticiper.

Les tenants de “Research First” vont mettre en avant la durée des cycles de recherche. Si je conçois bien que dans les sciences de l’ingénierie lourde, la médecine, les cycles peuvent être longs, ce sera plus aux entreprises d’investir sur un domaine de leur portefeuille. Cela est déjà le cas dans les écoles d’ingénieurs, dans les facultés de médecine.

Ceci dit, d’une manière générale, les cycles de recherche sont plus identifiés par les cycles de publication, qui dépassent rarement les trois ans. Là-aussi, prenons en compte que le numérique, par sa puissance de calcul, par l’abondance des données raccourcira les cycles de production de la recherche académique.

Enfin, retenons que les cycles d’accréditation sont généralement de trois à cinq ans. Cela montre que tout investisseur qui aura un horizon au minimum de trois-cinq ans ne sera pas en opposition avec le cycle de production de l’enseignement supérieur ».

« L'éducation est un bien public »

« La deuxième critique souligne que l’éducation est un bien public et qu’elle ne saurait être financée par des capitaux privés. L’histoire de l’éducation nous montre clairement que les Etats ne se préoccupent d’éducation de masse que depuis la fin du 19e siècle.

Le monde patronal créa les écoles de commerce pour disposer de la main d’œuvre nécessaire »

Pour homogénéiser la main d’œuvre nécessaire à la révolution industrielle, pour avoir des armées puissantes parlant la même langue, pour imposer une vision politique différente de celle portée par les religions (ces dernières assuraient la majeure partie de l’enseignement), les Etats prirent en charge l’éducation de masse. Notons que les universités pouvaient avoir déjà un statut indépendant des religions, mais aussi indépendant des pouvoirs politiques. La fameuse liberté académique est née de la protection de la création du savoir contre les dogmes religieux ou les pressions politiques.

Mais ce monde universitaire pouvait ne pas répondre aux besoins des nations. Ainsi Napoléon créa des écoles d’application qui devinrent des grandes écoles. Le monde patronal créa les écoles de commerce pour disposer de la main d’œuvre nécessaire. Cela montre que le concept de bien public pour l’éducation ne tient pas, car le financement public ne garantit pas la cohérence avec les intérêts de la nation.

N’oublions pas qu’aux États- Unis, des fortunes privées, soucieuses de la rentabilité de leur investissement, créèrent à la fin du 19e les bases d’universités qui sont aujourd’hui des géants et ont des exigences de performance très précises. Ce mouvement fût accompagné d’une ingénierie juridique et fiscale adaptée qui n’existe pas en France.

Enfin, dans les démocraties, des élections régulières tous les quatre/cinq ans réduisent le champ temporel de l’Etat.

Des family offices, des fonds de pension ont aujourd’hui des visions à 10-15 ans, très largement supérieures à celle des programmes politiques ».

« Le financement privé est incompatible avec la qualité et la liberté académiques »

« La troisième critique est celle que le financement privé est incompatible avec la qualité et la liberté académiques. C’est une aberration que démentent les industries du luxe, de l’automobile, de l’immobilier, etc.

La valeur d’un investissement privé ne peut pas être indépendant de son excellence dans son exécution. Cela est aussi contredit par l’obtention dans plusieurs pays des accréditations Equis ou AACSB par des structures privées.

Refuser un visa de l’Etat n’est pas un signe systématique de mauvaise qualité »

Associer financement privé et non-qualité, c’est se figer dans la France élitiste du début du 20e siècle refermée dans ses frontières, sous-estimant l’enseignement technique, recrutant sur des concours des intelligences linéaires. Refuser un visa de l’Etat n’est pas un signe systématique de mauvaise qualité.

Et si ces programmes permettent à des personnes de se remettre en selle, d’avoir un emploi, n’est-ce pas là ce que nous demandons à l’enseignement, en particulier professionnalisant ? Que penser de tous ces diplômes d’état qui n’aboutissent sur aucun emploi ? Que penser de ces centaines de milliers de diplômés dans des nations émergentes qui n’ont aucun emploi ?

Dans ces dernières, émerge un enseignement totalement privé, financé par des fonds internationaux, qui demeure, grandit parce qu’il répond exactement aux attentes de la nation ».

« Les actionnaires prennent des dividendes »

Il s’agit là d’une psychose due à une inculture économique »

« Enfin, la dernière critique est que des actionnaires (surtout des fonds) prennent des dividendes. Mot honni car les dividendes sont souvent perçus comme une rémunération non méritée, opposée aux salariés et aux investissements. Et à la phrase qui tue est : pas de frais de scolarité pour payer des dividendes ! Il s’agit là d’une psychose due à une inculture économique.

Puisqu’il prend des risques, un actionnaire perçoit une rémunération qui est une combinaison entre des dividendes et une revente de ses parts. Des dividendes incohérents avec la réalité économique de l’entreprise détruisent la valeur de revente parce que cela remet en cause les investissements nécessaires à la qualité support de l’accroissement de la valeur ».

Bernard Belletante

Email : bernard.belletante@gmail.com

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Fiche n° 3717, créée le 09/05/2014 à 21:08 - MàJ le 27/07/2022 à 09:19

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