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Sciences Po : 4e promotion d’Emouna, formation pour des ministres du culte et « enjeu sociétal »

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°168445 - Publié le 21/11/2019 à 12:11
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« Emouna - L’amphi des religions a un propos simple et ambitieux : renouer les fils de la compréhension mutuelle entre tous les Français, toutes les religions, convictions et institutions. Un lien qui peut être mis à l’épreuve par la simplification et l’amalgame », déclare Frédéric Mion Directeur @ École urbaine de Sciences Po
, directeur de Sciences Po, le 13/11/2019, à l’occasion de la première projection publique du documentaire « Dieu à l’école de la République » consacré à la première promotion d’Emouna.

Lancé par Sciences Po en 2016, « à la suite des attentats de 2015 », ce programme s’adresse principalement aux ministres du culte en exercice ou en cours de formation et aux responsables des communautés religieuses, ainsi que « tout professionnel manifestant un intérêt pour la compréhension de l’articulation entre les religions et la sphère publique ».

La quatrième promotion de cette formation certifiante vient de démarrer. Elle s’étale sur 18 jours, jusqu’à juillet 2020.

« Par des méthodes pédagogiques éprouvées, Emouna vise à renforcer les connaissances et compétences de ses participants. Soit à leur apporter notamment des savoirs objectifs sur les religions et la laïcité, ainsi qu’à améliorer le dialogue interreligieux comme les relations entre les responsables des cultes et le reste de la société », indique le directeur.

Emouna s’insère dans un réseau de formations dédiées à la laïcité, « en mettant l’accent sur le dialogue interreligieux », ajoute le directeur. Cet enjeu « dépasse celui des inscrits, et vaut pour l’ensemble de la collectivité : celui de vivre mieux dans une société sécularisée, où les religions doivent trouver paisiblement leur place, au cœur de la laïcité. »

Un objectif qui se veut aussi en lien avec la vocation de l’école : « À Sciences Po, nous avons une responsabilité particulière, qui s’exprime par la volonté de former des femmes et des hommes éclairés et responsables, capables de mesurer la complexité du monde, et parce que nous accueillons des étudiants du monde entier », dit-il.


À l’origine de la formation : la volonté « d’inscrire le dialogue interreligieux dans l’avenir »

Frédéric Puigserver, enseignant à Sciences Po, et président du collège des fondateurs du programme, revient sur la genèse de celui-ci.

« Après les attentats de janvier 2015, des ministres du culte qui se fréquentaient dans un cadre privé, ont fait le constat que ce dialogue interreligieux habituel devait changer de cadre, prendre une autre ampleur et sortir de ce qui était une “aimable conversation” entre des personnes qui s’appréciaient. Ce petit groupe de fondateurs a souhaité démultiplier ce dialogue interreligieux et l’inscrire dans l’avenir : on avait là tous les ingrédients d’une formation. Ce qui a constitué l’intuition première. »

Pour eux, dit-il, « il s’agissait que cela se traduise par une formation, d’autant plus que chacun dans sa religion, observait un déficit de connaissance mutuel et des institutions de la République. Ils se sont alors tournés vers moi. »

La nécessité de trouver un partenaire universitaire

Frédéric Puigserver a alors fait « une étude de marché », pour « voir ce qui existe et si ça peut répondre à un vrai besoin. » De cette phase, il a fait deux constats :

  • « Ce qui était envisagé, à savoir une formation s’adressant à des ministres du culte ou responsables religieux, n’existait pas.
  • Nous ne pouvions pas rester seuls pour faire cette formation, mais devions trouver un partenaire universitaire capable de porter ce programme, de l’élever au niveau d’exigence académique de l’université française, et qui comporterait sa force de frappe organisationnelle. »

Il en aussi tiré une conviction : « Cette initiative était celle d’individus qui se connaissaient, et il fallait que ce petit groupe de personnes constitue le noyau dur de ce programme, en recourant à la méthode des petits pas. Et qu’ensuite on coalise les institutions religieuses, l’État et un partenaire académique. »

Sciences Po a « une vocation naturelle à s’emparer de ce sujet »

En tant qu’enseignant à Sciences Po, Frédéric Puigserver dit s’être questionné : « Amener les religions à Sciences Po, est-ce que ce n’était pas aller trop loin dans ce que l’université française pouvait assimiler ? Et est-ce que le principe de laïcité le permettait ? »

Des interrogations dont il a discuté avec Frédéric Mion, qui lui a répondu :

« Nous sommes un établissement qui a pour mission de former les cadres dirigeants de notre pays à tous les enjeux du monde contemporain, et les faits religieux et leurs contributions en font partie. Nous avons une vocation naturelle à nous emparer de ce sujet. Et après les attentats de janvier 2015, nous avons failli à notre mission, car nous avons cette responsabilité et nous n’avons pas su anticiper. Emouna nous donne l’opportunité de nous en saisir. »

Quatre ans après la création du programme, et après trois promotions, le président du collège des fondateurs juge l’expérience concluante : « Ce programme est un équilibre complexe et subtil entre différents équilibres que sont l’université et le savoir des religions, les ministres du culte et l’univers civil, les générations, les sexes, etc. Et c’est ce que nous avons voulu », ajoute Frédéric Puigserver.

Réalisé par Annick Redolfi, le documentaire « Dieu à l’école de la République » porte sur la première promotion du programme Emouna, en 2016-2017. « Un pari, puisqu’il s’agissait d’une formation nouvelle, dont on ne savait pas ce qu’elle allait donner », indique la réalisatrice, lors de sa première diffusion publique à Sciences Po, le 13/11.

Presque sans voix off, ce film d’une trentaine de minutes restitue différents moments de la formation, les échanges entre participants, leurs découvertes et leurs interrogations, entrecoupés de quelques interviews face caméra. Pour la réalisatrice, ce « film ne se veut pas un résumé d’Emouna, mais un regard fidèle de ce qu’est cette formation ».

Il sera diffusé sur Public Sénat, partenaire du documentaire, en janvier 2020, et suivi d’un débat.

Déroulement de la formation et objectifs

Sciences Po indique qu’au terme de la formation d’Emouna, chaque participant doit avoir acquis les connaissances et compétences clés sur :

  • l’environnement politique et institutionnel français et européen qui entoure les pratiques religieuses ;
  • les différentes religions (leurs traditions intellectuelles, spirituelles et rituelles) ;
  • la culture et la laïcité françaises, ainsi que leurs liens avec les religions ;
  • l’exercice des responsabilités au sein d’une communauté religieuse.

« Dans une perspective pluridisciplinaire, ce programme veut également permettre à chaque participant de se cultiver et de développer ses réseaux relationnels en lien avec les religions et la laïcité. Le tout pour être en mesure de contribuer pleinement au dialogue interreligieux et interconvictionnel », ajoute l’établissement.

Pour cela, elle met en œuvre différentes modalités pédagogiques : « jeux de rôle, mises en situation, lectures critiques et croisées des textes fondateurs, par des intervenants de différents horizons, entretiens avec des grands témoins, travaux en groupe, simulations… »

Une formation certifiée

Un participant est certifié aux conditions suivantes :

  • assiduité à l’ensemble des journées ;
  • participation à un projet collectif présenté devant un jury ;
  • production d’une note collective, dans le cadre d’un projet de groupe ;
  • production d’une note individuelle réflexive.

Cette formation est par ailleurs inscrite sur la liste des formations civiles et civiques suivies par les aumôniers militaires d’active et les aumôniers hospitaliers et pénitentiaires.

Le programme et la composition du collège des fondateurs

Un programme qui s’inscrit dans l’histoire de l’enseignement du fait religieux en France

Philippe Portier, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, enseignant à Sciences Po et nouveau directeur scientifique d’Emouna était invité à retracer la mise en place de cette formation en perspective avec l’enseignement du fait religieux en France.

« Longtemps, cette question avait été délaissée, considérant que cela revenait à remettre le loup dans la bergerie », dit-il. « À partir des années 1980, on s’aperçoit que le religieux est important et on installe au cœur de l’éducation nationale, l’étude de fragments des grands récits fondateurs des monothéismes. Puis avec le rapport de Régis Debray en 2001, on voit naître l’envie d’inscrire dans les programmes un enseignement du fait religieux, autour d’une double volonté :

  • la patrimonialisation de la société, avec l’inquiétude que les jeunes générations ne connaissent pas les racines de leur appartenance collective ;
  • l’autre est d’ordre social, autour de la crainte que la société soit marquée d’une dislocation de ses solidarités, et qu’il s’agisse de retrouver le lien social perdu. »

Selon lui, cette mise en place en France s’est faite avec une spécificité.

« Ailleurs en Europe, on évoque le teaching into religion, et on considère que l’objectif est d’adhérer au capital religieux qui est transmis. La France adopte une autre façon de faire, en faisant prévaloir le teaching about religion, à propos de la religion. Une idée qui transparaît dans l’intitulé de la matière : les faits religieux et pas la religion. C’est la vision Durkheimienne qui consiste à dire que la religion est un fait social comme les autres. »

Cela a abouti à une double distinction, selon lui :

  • « entre le savoir et la croyance : à l’intérieur de l’école, nous faisons prévaloir une distanciation du récit avec le contexte et l’analyse symbolique ;
  • entre la morale et la religion : nous avons un enseignement moral et civique, qui ne repose jamais en France sur l’idée que le religieux est au cœur de la constitution du lien civique ; c’est encore à partir de la raison qu’on veut construire le consensus moral. »

Emouna pour Philippe Portier correspond à ces deux finalités : « C’est un lieu où s’objectivent les savoirs, c’est aussi un laboratoire du vivre ensemble, de la coexistence pacifique d’individus venus d’horizons différents et qui se retrouvent sur un consensus commun. »

Sciences Po Paris (IEP Paris)

Catégorie : Écoles spécialisées


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Fiche n° 2221, créée le 25/06/2014 à 11:09 - MàJ le 22/11/2024 à 16:41