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ExclusifPrix Joliot-Curie : un « encouragement » académique et à parler de parité (L. Zdeborova, lauréate 2018)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Entretien n°155549 - Publié le 10/09/2019 à 16:33
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©  Lenka Zdeborova
©  Lenka Zdeborova

« Ce prix est avant tout un grand encouragement : cela signifie que d’autres scientifiques sont intéressés par ce que je fais, et que cela vaut la peine de continuer », déclare Lenka Zdeborova, chercheuse CNRS Centre national de la recherche scientifique et lauréate du prix Irène Joliot-Curie 2018 dans la catégorie « jeune femme scientifique », à News Tank, le 09/09/2019.

« De plus, ce prix m’encourage à parler de la question de la situation des femmes dans la recherche, ce que je n’aurais pas nécessairement fait pendant mon doctorat. Avec ce prix, je fais partie de ceux qui, juste en racontant leur expérience où en exprimant leur opinion, peuvent contribuer à améliorer cette situation, et c’est un plaisir. »

Créé en 2001, le prix Irène Joliot-Curie vise à « promouvoir la place des femmes dans la recherche et la technologie en France », en mettant en avant « les carrières exemplaires de femmes de sciences qui allient excellence et dynamisme », indique le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation . L’institution décerne la récompense avec Airbus et le soutien de l’Académie des sciences ainsi que de l’Académie des technologies. Le prix est structuré en trois catégories : « femme scientifique de l’année », « jeune femme scientifique » et « femme, recherche et entreprise ».

Pour l’édition 2018, outre Lenka Zdeborova, Dinh Thuy Phan Huy, ingénieure R&D à Orange, a été récompensée dans la catégorie entreprise. Les noms des deux lauréates ont été annoncés le 25/07/2019, sans cérémonie de remise des prix, contrairement aux années précédentes. Aucun nom n’a été donné par le ministère pour la « femme scientifique de l’année ».

Lenka Zdeborova, qui travaille à l’Institut de physique théorique (CNRS/CEA), revient pour News Tank sur la signification de ce prix pour elle et sur son parcours. En outre, elle qui a « eu la chance de ne pas avoir été maltraitée à cause de [son] genre » évoque une évolution dans sa perception des enjeux de genre dans le monde académique, et des pistes pour tendre vers la parité.


Lenka Zdeborova répond à News Tank

Qu’est-ce que ce prix représente pour vous ?

Lenka Zdeborova : Pour moi, ce prix est avant tout un grand encouragement : cela signifie que d’autres scientifiques sont intéressés par ce que je fais, et que cela vaut la peine de continuer. Ce n’est pas toujours facile, parce qu’on ne sait pas nécessairement où on va quand on fait de la recherche. Cela rend cette reconnaissance importante.

De plus, ce prix m’encourage à parler de la question de la situation des femmes dans la recherche, ce que je n’aurais pas nécessairement fait pendant mon doctorat. Avec ce prix, je fais partie de ceux qui, juste en racontant leur expérience où en exprimant leur opinion, peuvent contribuer à améliorer cette situation, et c’est un plaisir.

La 18e édition du prix Irène Joliot Curie a été lancée le 12/07/2019, et le dépôt des candidatures est ouvert jusqu’au au 26/09/2019 à minuit. Il sera à nouveau remis dans trois catégories :
• « femme scientifique de l’année », accompagné de 40 k€ ;
• « jeune femme scientifique », accompagné de 15 k€ ;
• et « femme, recherche et entreprise », accompagné de 15 k€.

Catherine Cesarsky, haute conseillère scientifique au CEA Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives , et membre de l’Académie des sciences, préside le jury 2019. La présidente d’honneur du jury est la petite-fille de Pierre et Marie Curie, Hélène Langevin-Joliot, directrice de recherche émérite au CNRS Centre national de la recherche scientifique .

Sur quoi portent les travaux pour lesquels vous avez été récompensée ?

J’utilise des outils de physique statistique, discipline dont je viens, sur des questions d’informatique. Avec mon équipe, nous regardons des modèles dans lesquels on peut comprendre comment les algorithmes fonctionnent. Nous voulons déterminer quelles sortes de problèmes un ordinateur est capable de résoudre.

IA : des progrès empiriques, sans qu’on comprenne très bien pourquoi mathématiquement »

Récemment, nous avons travaillé en particulier sur l’apprentissage machine, qui est parfois appelé intelligence artificielle. Dans ce domaine, il y a eu énormément de progrès empiriques, sans qu’on comprenne très bien pourquoi, mathématiquement, les algorithmes fonctionnent.

Quel a été votre parcours, plus précisément ?

J’ai fait un master de physique théorique à l’Université Charles de Prague, et un de mes professeurs faisait partie d’un réseau collaboratif européen. Cela m’a donné l’occasion de participer à des conférences et de rencontrer des chercheurs partout en Europe, notamment mon futur directeur de thèse à l’Université Paris Sud. C’est avec ma thèse que j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes d’optimisation, et que je me suis ensuite orientée vers l’informatique et l’algorithmique.

Ensuite, je suis partie aux États-Unis pour un post-doctorat de deux ans, au Los Alamos National Laboratory. Puis je suis revenue en France en 2010 et j’ai obtenu un poste de chercheuse au CNRS. Je travaille depuis dans une UMR avec le CEA.

Que prévoyez-vous de faire avec les 15 000 € qui accompagnent le prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie « jeune femme scientifique » ?

Dans mon domaine, comme dans beaucoup de domaines théoriques, de nombreux programmes de réflexions et conférences sont organisés partout dans le monde, parfois sur plusieurs mois. L’idée est que les chercheurs à la pointe d’un domaine se réunissent pour discuter des manières de faire progresser leur discipline.

Quand je pars trois mois, je dois emmener mes enfants avec moi »

Mes financements de recherche couvrent les frais de mes voyages — le transport, l’hôtel, les conférences, etc. Mais quand je pars pendant trois mois, je dois emmener mes enfants avec moi, et les frais que cela implique ne sont pas éligibles aux financements de recherche.

Or, je participe à un de ces programmes de longue durée en moyenne une fois tous les deux ans ; le prochain aura lieu à Berkeley, aux États-Unis, à l’automne. Je pense donc que j’utiliserai cet argent pour emmener mes enfants pendant mes déplacements.

Pensez-vous qu’il soit pertinent d’avoir un prix scientifique dédié aux femmes ?

Je ne sais pas si c’est intéressant en soi. Mais je pense que cela permet de montrer l’excellence, ce qui est important dans le milieu de la recherche, où il n’y a pas tant de chercheuses que ça, surtout dans les disciplines théoriques.

Un prix pour donner des role models féminins en sciences »

Ce prix me donne une visibilité et permet, plus largement, de donner des « role models » scientifiques féminins. Or, il est très important pour les enfants d’avoir des modèles qui leur permettent de se projeter dans ce qu’ils veulent faire plus tard. Comme, historiquement, il y a beaucoup d’hommes en sciences, il faut montrer qu’il y a aussi des femmes.

Comment évolue, selon vous, la situation des femmes scientifiques dans le monde académique français ?

Cela fait quinze ans que je suis dans ce milieu et je n’ai pas vu d’évolution drastique. Mais j’ai toujours perçu la situation comme étant assez correcte. Je me suis toujours sentie traitée correctement, j’ai eu la chance de ne pas avoir été maltraitée à cause de mon genre.

Toutefois, je me suis peut-être un peu sensibilisée à la question au cours du temps. Quand j’étais étudiante, ça ne me paraissait même pas être un enjeu important. Je me rends compte maintenant qu’il faut y faire attention.

Genre : quand j’étais étudiante, ça ne me paraissait même pas être un enjeu important »

Dans mon laboratoire, nous sommes à peu près 60 chercheurs permanents, dont sept ou huit femmes. Et dans mon équipe, en ce moment, j’ai sept étudiants, dont deux filles ; ce n’est pas la parité, mais au moins elles sont là, et c’est important. Nous avons besoin de voir les choses de toutes les manières possibles en sciences, et je pense que la mixité y contribue.

Quelles mesures pourrait-on prendre pour améliorer la parité en sciences ?

Je pense que cela se joue à tous les niveaux d’éducation, dès la maternelle. Mes deux enfants sont des filles, et je me rends mieux compte des divers biais sociaux de genre en les élevant que quand j’étais moi-même enfant. En tant que maman, je suis toujours étonnée quand elles me disent : « Ah non, ça, c’est pour les garçons ! »

En maternelle ou en primaire, je pense qu’il serait bien qu’il y ait plus d’activités pour les enfants curieux, et pas seulement pour ceux qui sont sportifs ou artistiques. Il y a peu d’activités pour les enfants qui se posent des questions sur le monde qui les entoure. Et je pense que si on les encourageait, filles comme garçons se projetteraient plus facilement dans des carrières scientifiques.

Qu’en est-il pour l’enseignement supérieur, et les recrutements et promotions dans la recherche ?

Quand on parle de genre, souvent, on cite une expérience [1]. Des scientifiques ont réalisé un CV et l’ont envoyé à des employeurs, en changeant juste le nom de la personne : ils ont mis tantôt celui d’une femme, tantôt celui d’un homme. Et, avec le même CV, les employeurs évaluaient en moyenne plus favorablement les candidatures masculines que féminines.

Avec le même CV, les employeurs évaluaient en moyenne plus favorablement les candidatures masculines que féminines »

Cela montre qu’il y a un biais implicite dans la société. Nous devons donc le compenser. Il faut en avoir conscience et le prendre en compte dans les concours, les recrutements, etc. Toutefois, il faut que le système reste juste.

Quand il s’agit d’un concours pour le recrutement d’une personne, c’est compliqué. Mais lorsqu’on recrute 100 personnes sur 1000 candidatures, par exemple, on pourrait décider d’aller jusqu’au 130e rang pour les femmes, car les niveaux des candidats juste au-dessus et juste au-dessous de la barre d’admission peuvent être très proches.

Et il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres types de biais, par exemple liés à l’origine sociale. Quand on est d’origine modeste, on a parfois plus de difficultés à s’exprimer de la manière adéquate, et ces cas-là sont beaucoup plus difficiles à gérer.

Il faut parler de ces biais et être conscients que, dans chaque concours, il y a des éléments subjectifs.

Les résultats de l’expérience de testing sur l’impact du genre dans les processus de recrutement académiques citée par Lenka Zdeborova [1] ont été publiés en 1999 dans la revue scientifique Sex Roles. Cette étude est détaillée dans l’article « The impact of gender on the review of the curricula vitae of job applicants and tenure candidates : A national empirical study »  Publié le 10/09/2019 à 14 :56
PDF - 373,68 Ko
, de Rhea Steinpreis, Katie Anders et Dawn Ritzke.

Elle précise qu’une publication plus récente, de 2012, a un propos « similaire » : « Science faculty’s subtle gender biases favor male students »  Publié le 10/09/2019 à 14 :57
PDF - 664,78 Ko
, de Corinne Moss-Racusin, John Dovidio, Victoria Brescoll, Mark Graham et Jo Handelsman, paru dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Et la chercheuse de nuancer, en citant une étude publiée dans la même revue en 2010 qui « suggère que (au moins aux Etats-Unis) la situation a évolué » : « Understanding current causes of women’s underrepresentation in science »  Publié le 10/09/2019 à 14 :59
PDF - 147,07 Ko
, de Stephen Ceci et Wendy Williams.

Lenka Zdeborova


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Parcours

University of California, Berkeley (UC Berkeley)
Chercheuse en visite au Simons institute for the theory of computing
Los Alamos national laboratory
Post-doctorat au Center for nonlinear studies

Établissement & diplôme

École normale supérieure - PSL (ENS - PSL)
Habilitation à diriger des recherches
Université Paris-Sud (Paris 11)
Doctorat en physique en cotutelle Charles University/Université Paris-Sud
Charles University, Prague (République tchèque)
Master en physique théorique

Fiche n° 36319, créée le 10/09/2019 à 15:32 - MàJ le 10/09/2019 à 15:43

©  Lenka Zdeborova
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