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« Donner aux laboratoires les moyens de leur politique partenariale » (Cathie Vix, Total)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°142758 - Publié le 19/03/2019 à 16:35
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Cathie Vix - ©  D.R.

« Ce ne sont pas les aspects contractuels qui bloquent aujourd’hui [la dynamique partenariale]. Si on souhaite développer plus de partenariats et aller vers des projets plus ambitieux, deux facteurs sont importants :
• Travailler de manière très intégrée en associant les industriels dès le départ aux projets de type PIA Programme d’investissements d’avenir ou grandes plateformes au sein des universités. Nous pouvons en effet apporter cette partie “business case” [analyse de rentabilisation] et cela permettrait qu’une fois construite, la plateforme soit mieux comprise et implémentée au sein de l’entreprise.
• Donner aux laboratoires, aux directeurs d’unité et aux établissements la possibilité de recruter à des salaires attractifs. »

C’est ce qu’affirme Cathie Vix, directrice de l’anticipation stratégique de Total, lors d’une table ronde sur la construction et les dynamiques de partenariats public/privé, dans le cadre du colloque « Les universités et le monde socio-économique : quelles stratégies ? » organisé par la CPU Conférence des présidents d’université et l’ANRT Association nationale de la recherche et de la technologie le 14/03/2019.

« Dans un laboratoire, le chercheur doit faire de l’Europe pour aller chercher son ERC European Research Council et répondre à des partenariats industriels. Les journées n’ayant que 24 h, les très bons, très vite, font des choix. Et il est quand même difficile pour un laboratoire de recruter des ingénieurs de recherche qui pourraient répondre aux besoins industriels, ou de faire des CDI Contrat à durée indéterminée , etc. Si demain un laboratoire reçoit 20 projets industriels, il n’est pas en mesure de répondre. Le premier facteur est donc de lui donner les moyens de sa politique partenariale », expose Cathie Vix.

« Sur la base de mes deux expériences [privée et académique], c’est le sujet le plus important. On parle de chaires et de plein d’autres dispositifs, mais pour être attractif, appelons un chat un chat : la partie salariale est un élément important », ajoute-t-elle.

Cathie Vix est arrivé chez Total en septembre 2018. La direction de l’anticipation stratégique qu’elle pilote « a pour mission d’identifier toutes les innovations de rupture et donc préparer le futur du groupe, et par ailleurs de déployer une activité d’open innovation ». Elle est « directement rattachée à Marie-Noëlle Semeria Directrice innovaton @ TotalEnergies • Directrice recherche et développement @ Total • Directrice @ Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) • Directrice @ Commissariat… , directrice de la R&D Recherche et développement  ».

Par ailleurs, chercheuse au CNRS Centre national de la recherche scientifique « durant 26 ans » et lauréate de la médaille d’innovation en 2016, Cathie Vix a créé l’Institut Carnot Mica à Mulhouse, qu’elle a dirigé entre 2011 et 2018. Pour elle, « l’outil Carnot est vraiment un dispositif efficient, vertueux pour développer les partenariats industriels ».

Méthodes pour accélérer les signatures d’accords, modèles économiques pour chercher des ressources propres, mobilité des chercheurs, stratégie partenariale de Total… Autant de points abordés par Cathie Vix durant cette table ronde aux côtés de :
• Thierry Brousse VP valorisation et transfert @ Université de Nantes • Professeur @ Polytech Nantes (École polytechnique de l’université de Nantes)
, VP Vice-président(e) valorisation et transfert de l’Université de Nantes ;
• Mohamed Amara VP en charge de l’ESR @ Communauté d’agglomération Pau-Pyrénées - Ville de Pau (64) • Professeur des universités en mathématiques @ Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA)
, président de l’UPPA Université de Pau et des Pays de l’Adour  ;
• Sylvaine Neveu, directrice scientifique du groupe Solvay.


Comment signer des accords plus rapidement

Sylvaine Neveu, directrice scientifique du groupe Solvay et modératrice de la table ronde, évoque le sujet de la « lenteur » des signatures d’accords entre laboratoires publics et entreprises, et interroge les intervenants sur « les manières d’établir plus vite les règles ».

« D’une manière paradoxale, les délais de réponse s’allongent, alors même qu’on a en face des universités qui s’organisent et des services juridiques dont on pourrait penser qu’ils vont plus vite. Il y a pas mal de viscosité dans le système, alors même qu’on y met plus de moyens », souligne-t-elle.

Pour Cathie Vix Directrice de l’anticipation stratégique R&D @ TotalEnergies • Membre @ Conseil national de l’industrie (CNI)
, « il ne faut pas généraliser » : « L’efficacité des négociations dépend de nombreux facteurs et aussi beaucoup des personnes qui sont en poste. (…) Certains contrats vont très vite lorsque le programme de recherche est clair et que les personnes qui vont travailler ensemble se sont bien mises d’accord ».

« Durant mes 26 ans de carrière au CNRS Centre national de la recherche scientifique , j’ai vu une évolution positive concernant les questions d’organisation et de contractualisation. Et lorsque j’étais à la tête de l’Institut Carnot Mica, on signait un NDA [non-disclosure agreement] en 48 h, et un contrat en quelques semaines… ou mois, en fonction du partenaire, car tout ne dépend pas du côté académique », retrace-t-elle.

Elle donne toutefois plusieurs pistes d’amélioration :

  • « Côté industriels, c’est aussi à nous de nous organiser en interne pour que les bons interlocuteurs soient identifiés. Les personnes changent de position beaucoup plus rapidement dans le privé et cela peut être vu comme une difficulté.
  • Au niveau des EPST Établissement public à caractère scientifique et technologique et des universités, pour les acteurs sur le terrain, il faudrait donner des grandes lignes concernant les royalties et les retours sur investissement, des règles qu’on applique. Suivant qu’on travaille avec X ou Y, on n’est pas dans la même philosophie. Aujourd’hui, si les contrats bloquent, c’est au niveau de la PI Propriété Intellectuelle et du retour sur investissement. Il y a un vrai fantasme.
  • Ces détails qui bloquent montrent que c’est plus souvent une question de communication et de compréhension. Tous les acronymes et les multiples tutelles ne sont pas forcément compris en interne, même si l’introduction d’un signataire unique dans la loi Pacte Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises va dans le bon sens. »

Concernant la mise en place du mandataire unique, Thierry Brousse, vice-président valorisation et transfert de l’Université de Nantes, souligne que « l’obligation ne concerne que la partie PI » et que « le mandataire unique ne sera effectif que lorsque les contrats de site seront signés, ce qui n’est pas le cas encore pour 99 % des unités ». « La déperdition d’énergie par effet joule est conséquente entre les différentes tutelles des UMR, qui en plus ne dépendent pas toutes du même ministère. »

Pour renforcer l’efficacité du mandataire unique, le gouvernement prévoit d'« aller vers un délai d’un mois » maximum pour sa désignation, à compter de la déclaration d’invention, a annoncé Frédérique Vidal, le 14/09/2018, dans le cadre de l’examen au Parlement du projet de loi Pacte.

Stratégie de PI : « faire se rencontrer les juristes »

Autre proposition, de Thierry Brousse : il faut « supprimer le mode suivi de correction automatique du logiciel Word et faire effectivement se rencontrer les juristes avec la feuille des attentes des partenaires, et là je pense qu’on arrivera à accélérer le processus ! ».

« On gagnerait beaucoup de temps si les services juridiques se parlaient avec un scientifique dans la boucle », estime également Cathie Vix.

Pour Sylvaine Neveu cependant, « il ne faut pas avoir d’approche absolument systématique et prendre en compte chaque cas séparément ».

« Quand on est sur des travaux d’expertise de très long terme, parler tout de suite de la valeur qu’on va en tirer est prématuré. Et lorsqu’on veut faire rencontrer les juristes ou les chercheurs de part et d’autre, dans notre groupe, on a finalement des garde-fous qui viennent de nos juristes… Mais la décision d’accepter ou non nous appartient ».

Cathie Vix approuve cette approche au cas par cas, qui constitue justement la révision « très récente » de la stratégie PI de Total :

« Nous nous adaptons en fonction des projets : si ce sont des projets très amont, nous n’aurons pas la même exigence de PI que dans le cas de projets à très court terme. Nous avons réalisé de notre côté qu’il y avait cet écueil-là et qu’on ne pouvait pas avoir une stratégie de PI homogène pour toutes les échelles de TRL Technology readiness level . »

Quel modèle économique pour chercher des ressources propres ?

Une recherche française « sous-payée »

« Des études faites à la fois du côté santé/biotech et sciences “dures”, par Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale Transfert, le CNRS Centre national de la recherche scientifique ou au niveau local [à Nantes] montrent que les entreprises sous-paient la recherche publique en France », affirme Thierry Brousse.

« On a donné des outils aux structures de valorisation pour chiffrer le coût complet et élaborer des grilles de calcul. Mais une fois ces coûts renseignés, on va rentrer dans une discussion interminable parce que les entreprises estiment pour leur majeure partie que finalement une partie des impôts sert aussi à payer cette recherche publique. Et c’est vrai ! Mais d’une autre façon », expose-t-il.

Il rapporte deux anecdotes à ce sujet :

  • « Une PME Petites et moyennes entreprises est venue nous voir avec un problème et avec la Satt Sociétés d’accélération du transfert de technologies nous avons fait un chiffrage par rapport à leurs attendus. On est arrivé à 200 k€, mais l’entreprise n’avait que 40 k€ à mettre sur ce projet. Sauf qu’elle sortait d’un projet avec un des instituts Fraunhofer en Allemagne, qui ne sont pas particulièrement connus pour être philanthropes ! Et elle a donc sûrement estimé que les 200 k€ qu’elle avait donnés au Fraunhofer équivalaient à 40 k€ pour un laboratoire français.
  • Par ailleurs, un responsable R&D Recherche et développement d’un grand groupe qui a investi 4 M€ sur une technologie développée au MIT Massachusetts Institute of Technology m’a clairement dit qu’il n’aurait investi que 400 k€ si ça avait été en France. »
Les entreprises sous-paient la recherche publique »

« Il y a une acculturation à faire, et un message à porter sur les attentes de l’État par rapport aux ressources propres que doivent développer les universités à travers les partenariats », estime ainsi le vice-président.

Mettre en place des grilles tarifaires

Concernant le besoin de professionnalisation des académiques, « je ne peux qu’inviter les universités et EPST Établissement public à caractère scientifique et technologique à avoir une grille tarifaire, c’est aussi simple que ça », soutient Cathie Vix.

« Peu de temps après être arrivée chez Total, j’ai demandé à un partenaire comment il avait obtenu le prix qu’il me proposait pour l’utilisation d’une plateforme alors que je savais celui-ci différent. Et celui-ci m’a répondu y être allé “à la louche” ! Ça ne donne pas une bonne image. Alors certes, mettre en place un tel dispositif impose une démarche qualité, mais c’est très simple à faire et c’est un gain de temps pour tout le monde au final. »

La directrice de l’anticipation stratégique de Total estime également que « si un partenaire est stratégique pour une entreprise et qu’il y derrière des enjeux économiques, ce n’est pas le coût qui va poser problème, mais cela nécessite de bien définir le partenariat gagnant-gagnant ».

Mobilités des chercheurs : « il va falloir être inventif »

Pour Cathie Vix, si le mouvement d’un chercheur de l’industrie vers le secteur public reste encore simple, ce n’est pas le cas dans l’autre sens :

« Lorsqu’on souhaite vraiment qu’une personne passe du côté académique vers l’entreprise, c’est un dispositif très compliqué. J’ai été ravie de voir que dans la loi Pacte on ne passait plus par la commission de déontologie, parce que c’était vraiment un frein. Dans mon cas, ça a été un aller sans retour et j’ai failli être bloquée par la commission de déontologie alors que je n’avais pas travaillé avec Total », affirme-t-elle.

Même constat du côté de Thierry Brousse, qui estime qu'« il va falloir être inventif ». En effet, le retour d’un enseignant-chercheur parti en entreprise signifie, selon lui :

  • « Un service [d’enseignement] complet à faire en travaux pratiques, parce que les collègues se seront partagé les cours intéressants.
  • Se mettre au bout de la file d’attente pour la distribution des bourses de thèses, parce que les collègues ont avancé pendant ce temps sur leurs sujets et qu’il faut reprendre à zéro.
  • Revenir effectivement avec son dossier qu’on va présenter à l’évaluation dans sa section CNU Conseil national des universités . Dans le meilleur des cas, le paragraphe valorisation c’est la cerise sur le gâteau ; dans le pire des cas, il ne vaut mieux pas l’écrire parce que c’est défavorable. »

« Au sein de nos cinq laboratoires communs avec des entreprises, on constate un brassage qui permet de générer de nouveaux projets et de nouveaux contrats. Nous espérons, dans le cadre de notre I-Site, faciliter les mobilités au sein de l’entreprise. Ça existe ponctuellement mais ça n’est pas systématisé, or nous en avons vraiment besoin, on sent cette nécessité sur le terrain », pointe Mohamed Amara, président de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

Cathie Vix qualifie quant à elle le partenariat avec l’UPPA de « partenariat de proximité ». « Parmi les outils permettant de faire fonctionner ce partenariat, celui d’UMR fonctionne très bien, car il permet la fluidité et un contact direct des chercheurs. C’est de cette mixité qu’émergent le plus souvent les innovations de rupture. »

« Permettre ces passages des chercheurs entre Total et les laboratoires [académiques] est quelque chose que nous souhaitons développer chez Total », assure-t-elle par ailleurs.

Total : « collaborer avec les meilleurs à l’international »

« Notre R&D fonctionne sur deux échelles de temps et nous allons retrouver dans notre portefeuille à la fois des programmes plus courts et proches des métiers, souvent portés par d’autres branches au sein de Total, et des projets très amont, où nous prenons des risques, que nous développons avec des partenaires stratégiques en fonction des thématiques. Notre but est de collaborer avec les meilleurs à l’international. Par exemple :

  • L’Université de Stanford (États-Unis), sur des aspects géologiques, réduction du CO2 ou intelligence artificielle.
  • L’Université d’Aachen (Allemagne), sur des aspects lubrifiants.
  • L’Université de Strasbourg, avec un partenariat autour de la chimie.
  • L’Université de Lorraine, sur des aspects géologiques.
  • Le CEA Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives . »

« L’UPPA est très réactive par rapport à nos besoins »

« L’UPPA Université de Pau et des Pays de l’Adour est un partenaire stratégique et pérenne. C’est une relation de confiance : l’UPPA est très à l’écoute de nos besoins et de nos attentes, soit en R&D, soit sur le terrain concernant nos métiers. Cela s’inscrit en outre dans un mode très agile, et l’UPPA est très réactive par rapport à nos besoins. C’est un mot-clé important dans la notion de partenariat », affirme Cathie Vix.

Elle ajoute : « Nous coopérons dans plusieurs domaines : sciences de la Terre, imagerie, nanotechnologies-particules-capteurs, stockage et captation de carbone, écotoxicologie. Nous saluons toute leur dynamique, qui s’est traduite par l’obtention de l’I-Site Initiative-Science-Innovation-Territoire-Economie , un cercle vertueux certainement dû à la présence de Total. »

Cathie Vix souligne également l’apport international de Total à l’UPPA :

« L’UPPA est une université de taille moyenne, mais très dynamique et volontaire, et Total lui apporte un développement à l’international avec ses contacts. Une dynamique est également en train de se mettre en place au Brésil, où Total a ouvert un nouveau centre R&D en partenariat avec Petrobras et pour lequel l’UPPA participe au montage. »

Selon elle, l’UPPA représente pour Total « 3 M€ de dépense externe de recherche en 2018, et 32 thèses, dont un bon nombre en Cifre Convention industrielle de formation par la recherche — un dispositif que nous apprécions beaucoup ».

Cathie Vix-Guterl


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Parcours

TotalEnergies
Directrice de l’anticipation stratégique R&D
Conseil national de l’industrie (CNI)
Membre
Institut Carnot Mica
Directrice
Institut Carnot Mica
Directrice
Institut de Science des Matériaux de Mulhouse
Directrice

Établissement & diplôme

Université de Haute-Alsace (UHA)
Doctorat en chimie physique, science des matériaux
Université de Strasbourg (Unistra)
DUT spécialité chimie

Fiche n° 34648, créée le 19/03/2019 à 10:32 - MàJ le 02/11/2020 à 09:38

TotalEnergies

Catégorie : Entreprises


Adresse du siège

2 bis rue Louis Armand
75015 Paris France


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Fiche n° 6391, créée le 29/01/2018 à 10:23 - MàJ le 28/01/2022 à 16:08

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