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« Entreprises et chercheurs : mariage enfin ! » (Joël Bertrand)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°133093 - Publié le 09/11/2018 à 17:12
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©  D.R.
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Si chaque action lancée par l’État pour rapprocher recherche publique et entreprises « peut parfois prêter à discussion d’opportunité, l’ensemble constitue, de mon point de vue, une réussite. On en parle jusqu’à satiété. Fort peu d’appels d’offres prennent le risque de ne pas mentionner les collaborations souhaitées entre entreprises et chercheurs. Un bel exemple est donné par l’actuel appel à manifestation d’intérêt 3IA Institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle , qui convoque la participation d’entreprises », écrit Joël Bertrand, président du conseil scientifique de Naval Group et ancien directeur général délégué à la science du CNRS Centre national de la recherche scientifique , le 09/11/2018.

Dans sa deuxième chronique pour News Tank, il évoque l’évolution des collaborations entre la chercheurs publics et l’enseignement supérieur. « Nos dirigeants successifs ont agi, de manière très énergique et continue, peut-être aussi de manière désordonnée, mais tant pis », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, il faut « persuader » chercheurs et entreprises qu’ensemble « l’un cherchera mieux et l’autre entreprendra mieux ». Surtout, « chacun doit faire exactement son métier, pas le métier de l’autre », poursuit-il. Il cite les travauix de Denisa Mindruta (HEC Paris) qui étudie les relations entreprises-chercheurs « à la manière d’un site de rencontres, chacun cherchant le meilleur partenaire, dans une sorte de marché matrimonial idéal. Il faut que chacun des deux partenaires exploite l’autre au mieux de ses intérêts ».


L’éloge des rapprochements entreprises-chercheurs

Florilège de déclarations volontaristes. Éloge de rapprochements des entreprises et des chercheurs. Solutions miracles pour dynamiser l’économie de notre pays, pour le réindustrialiser, entend-on parfois. Incantations perpétuelles, dans les déclarations de nos dirigeants, dans les appels d’offres régionaux, nationaux ou européens. Ce n’est plus un vœu, c’est une injonction, une obligation, un ordre.

Faire tomber les murs entre entreprises et chercheurs »

Un observateur distrait pourrait se demander, à juste raison, pourquoi tant d’empressement, pourquoi toutes les semaines, cette lancinante demande d’aggiornamento, pourquoi cette multitude de dispositifs, propositions jusqu’à l’obsession, pour vraiment, définitivement, dit-on parfois, faire tomber les murs entre entreprises et chercheurs, les faire travailler ensemble sur les mêmes projets, dans les mêmes lieux et en même temps.

Oui, pourquoi, que s’est-il passé, ou pas passé, plutôt ?

Le monde avant

Avant, il y a vingt ans, trente ans, plus, entreprises et chercheurs restaient dans leurs couloirs, connaissant l’existence de l’autre, ne se rencontrant jamais, comme deux planètes différentes, chacune sur sa trajectoire, et n’ayant ni le goût, ni l’intérêt, ni les moyens de changer, entravés les uns et les autres par des généralités, des a priori confortables, des appréciations définitives.

Premier handicap : la méfiance des chercheurs

Certains chercheurs publics cultivaient un sentiment de méfiance envers le monde des entreprises. Elles étaient suspectées de ne vouloir que des bénéfices à court terme, de faire montre d’une impatience permanente, d’imposer des délais intenables, si, par malheur, on essayait de travailler avec elles. Cela était compris comme travailler pour elles, en une relation de suzerain à vassal, pour ne pas dire, mais certains le disaient, de maître à valet.

C’était compris comme une relation de suzerain à vassal »

Bref, elles étaient un véritable danger pour la sphère publique, il s’en fallait de peu pour que l’adjectif privé ne soit considéré comme désobligeant, comme une marque d’infamie.

  • Il est aujourd’hui intéressant par exemple de relire tout ce qui fut écrit sur les PPP (partenariats public privé) à l’occasion des plans campus des universités un peu avant les années 2010.
  • Il est également instructif de rassembler tous les papiers qui furent écrits sur le Crédit impôt recherche, parfois pertinents, mais qui, hélas, pour leur grande majorité, furent des réquisitoires à charge lourde ne souffrant pas trop de nuances contre ce funeste dispositif.

Certains chercheurs vétilleux quant à leur mission originelle, ne voulaient en aucune façon être détournés de la recherche fondamentale, une entreprise, c’est bien connu, disaient-ils, les entraîneraient vers une recherche appliquée de mauvaise qualité par définition, et sans discussion.

Deuxième handicap : les lourdeurs des processus

Au sein même des universités et des organismes de recherche existaient des méthodes peu propices à des travaux communs entre entreprises et chercheurs publics. Les chercheurs étaient parfois suspectés d’amateurisme quant à la négociation de contrats, présumés coupables de fautes réglementaires et qualifiés de très approximatifs par leurs tutelles.

Ces tutelles-là n’étaient généralement pas adeptes de légèreté administrative, ni partisanes d’accélération au moment de signatures de convention, plutôt spécialistes du surplace quand était évoquée la propriété intellectuelle, sujet infiniment plus dispendieux en temps que propice à de quelconques revenus pour les universités et les organismes de recherche (à une unique exception près, au CNRS). 

Certains renoncèrent à se faire rembourser leurs frais engagés »

Lorsque, malgré ces cailloux sur le parcours, était signée une convention, et si le chercheur public, pour son malheur, devait engager des frais, leur remboursement par sa tutelle était aussi un long parcours, car bien sûr, il était suspect, il devait démontrer son innocence, plutôt deux fois qu’une, avec plusieurs pièces justificatives à l’appui. Il arriva que certains renonçassent à se faire rembourser leurs frais engagés, et ceci participa au découragement de collaboration avec les entreprises.

Pour un lecteur ignorant du fonctionnement en détail des laboratoires de recherche, cela peut apparaître comme détails sans intérêt. Que ce lecteur interroge les chercheurs se souvenant de cette époque !

Troisième handicap : une opinion très arrêtée des chercheurs

Certaines entreprises, et il faut l’écrire, plutôt les PME Petites et moyennes entreprises ou ETI Entreprise de taille intermédiaire que les grands groupes, avaient une opinion très arrêtée des chercheurs. Pour eux, les chercheurs, c’était la recherche médicale, aller sur Mars, et peut-être quelques bricoles, l’énergie atomique ou l’archéologie. Le reste ? Pas de reste.

Lorsqu’ils s’aventuraient vers d’autres champs de recherche, ils nous disaient aller de désillusion en désillusion, ne rencontrer que des rêveurs, des personnes qui ont le temps, qui ont l’éternité devant elles, qui n’ont pas de contraintes de résultats, qui n’ont pas de salaires à assurer. Et donc ils pouvaient être découragés eux aussi.

Cela, c’était le monde avant. Ce monde n’existe plus. Qui pourrait penser le contraire ? Qui voit le contraire ? De telles lourdeurs, de telles vieilleries peuvent-elles encore subsister ? Impossible, bien sûr, et c’est tant mieux. Encore que…

Marche forcée 

Devant ce constat très maussade,  nos dirigeants successifs ont agi, de manière très énergique et continue, peut-être aussi de manière désordonnée, mais tant pis, pour rapprocher le monde des entreprises et le monde des universités et organismes de recherche. 

Une floraison de dispositifs, simples ou complexes »

Nos dirigeants ont eu un même objectif, combler les trous entre les deux mondes, de quelque façon que ce soit, par exemple en favorisant la valorisation des recherches, par exemple en favorisant la réalisation de démonstrateurs, etc. Il faut comprendre ici favorisant, comme finançant.

Est apparue une floraison de dispositifs, simples ou complexes, clairs ou obscurs, aisés ou même impossibles à mettre en œuvre, peu importe, mais dispositifs pour tendre vers ces unions, tant appelées des vœux de nos dirigeants qu’elles en apparaissent parfois artificielles.

Un nouveau dispositif tous les 15 jours depuis le début des années 2000

L’énumération donnerait le vertige, des prémices des pôles de compétitivité, des premiers instituts Carnot, des chaires industrielles, des outils dédiés du PIA Programme d’investissements d’avenir 1 que sont les Satt Sociétés d’accélération du transfert de technologies , les IRT Institut de recherche technologique , les IEED Instituts thématiques d’excellence en matière d’énergies décarbonées devenus ITE Institut pour la transition énergétique , des LabCom de l’ANR Agence nationale de la recherche , des laboratoires communs CNRS et entreprises, du déploiement de CEA Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives -Tech, jusqu’à toutes les initiatives territoriales ou régionales en tout genre.

L’ensemble de ces actions constitue une réussite »

Les maîtres-mots qui président à ces initiatives sont créations d’emplois, créations de valeurs, innovation, valorisation de la recherche et autres, le tout si possible en une unité de lieu, appelée rapidement écosystème.

Si chaque action peut parfois prêter à discussion d’opportunité, l’ensemble de ces actions constitue, de mon point de vue, une réussite. On en parle jusqu’à satiété. Fort peu d’appels d’offres prennent le risque de ne pas mentionner les collaborations souhaitées entre entreprises et chercheurs.

Un bel exemple est donné par l’actuel appel à manifestation d’intérêt 3IA, Institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle qui convoque la participation d’entreprises en précisant que « les relations avec les entreprises devront être avérées et significatives », et pour les cas où cela ne serait pas clair, ces relations sont quantifiées a minima. Plus loin, cet appel à manifestation d’intérêt demande un « objectif chiffré ambitieux de création de start-up ».

Course à l’innovation

La doctrine dominante de ce foisonnement est probablement la course à l’innovation, l’innovation de rupture précisément, car l’innovation incrémentale prête peu à débats.

Henry Ford dans une célèbre citation disait « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides », et cent ans plus tard Steve Jobs déclarait « ce n’est pas au client de savoir ce qu’il veut » réglant ainsi presque à l’identique le débat technology push ou market pull ou les deux.

Ils étaient l’un et l’autre des innovateurs de rupture, startuppers de haute volée, créateurs d’entreprises jeunes et innovantes, liées aux nouvelles technologies, créant leur propre marché et le faisant grandir et prospérer. 

Pourquoi collaborer ?

Mais munis de tous ces dispositifs, les futurs partenaires vont se demander pourquoi collaborer. Un chercheur doit chercher, un entrepreneur doit entreprendre. On doit les persuader qu’ensemble l’un cherchera mieux et l’autre entreprendra mieux. Surtout chacun doit faire exactement son métier, pas le métier de l’autre.

Denisa Mindruta (HEC Paris) étudie les relations entreprises-chercheurs à la manière d’un site de rencontres, chacun cherchant le meilleur partenaire, dans une sorte de marché matrimonial idéal. Il faut que chacun des deux partenaires exploite l’autre au mieux de ses intérêts.

  • L’intérêt du chercheur est double : augmenter sa production scientifique et tirer des revenus pour son laboratoire, de manière à attirer d’autres chercheurs qui augmenteront la performance du laboratoire.
  • L’intérêt de l’entreprise est d’améliorer sa production de biens ou services, de monter en gamme et de gagner de nouveaux marchés.

Pour la réalisation de leurs objectifs, le chercheur doit faire un pas vers la montée en TRL Technology readiness level . Il traduira ainsi le problème de l’entreprise en un sujet scientifique, et l’entreprise doit faire un pas vers la descente en TRL, traduisant un sujet scientifique en innovation ou en marché nouveau, à l’instar de Henry Ford et Steve Jobs cités précédemment.

Un mariage de raison

Sont ainsi posées les bases d’un mariage de raison. Et de bonnes bases permettront un mariage durable, illustré par exemple par un domicile commun, ce que revendique l’association FIT French Institutes of Technology, association des IRT et ITE regroupant les huit IRT, mais aussi par des entreprises qui signent des publications scientifiques, par des chercheurs, qui travaillent en sabbatique dans des entreprises, qui déposent des brevets…

Nous tendrons ainsi vers un  monde idéal qui, cette semaine est presque décrit par le fonctionnement de l’ESPCI Ecole supérieure de physique et de chimie de la ville de Paris (in Challenges, octobre-novembre 2018, numéro 584, page 55, ou News Tank, 03/07/2018 Publié le 03/07/2018 à 10:03
« L’aspect essentiel est de pouvoir incuber une société au moment précis où c’est nécessaire, où les gens compétents sont là. L’ESPCI est le seul endroit que je connaisse au monde où c’est possible…
), et que les chiffres actuels du CNRS illustrent déjà, 5 600 brevets, 1400 start-up, records en cours…

Joël Bertrand

Email : joel.bertrand@ensiacet.fr

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Parcours

IRT Saint Exupéry
Vice-président
Naval Group
Président du conseil scientifique
Muframex
Membre permanent du Comité d’évaluation et orientation
Fondation de Recherche pour l’Aéronautique et l’Espace (Airbus, Liebherr Aerospace, Safran, Thalès)
Président du conseil scientifique
Centre d’études mexicaines en France
Président du conseil scientifique
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Conseiller spécial du président
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Directeur général délégué à la science
Fondation de coopération scientifique Science et Technologie pour l’aéronautique et l’espace
Directeur
Laboratoire de génie chimique (UMR CNRS, UPS, INP Toulouse)
Directeur
Comité national de la recherche scientifique (CoNRS)
Président de la section 10 Milieux fluides et réactifs : transports, transferts, procédés de transformation

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
Maîtrise de sciences économiques
ENSIGC
Ingénieur de génie chimique

Fiche n° 27835, créée le 22/12/2017 à 11:54 - MàJ le 15/11/2024 à 17:04

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