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Plan étudiants : « Le jour d’après », par Laurent Batsch

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°105400 - Publié le 03/11/2017 à 11:14
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©  News Tank - LM
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« Le gouvernement peut s’appuyer sur l’évolution profonde des mentalités dans le milieu universitaire, pas seulement à la CPU Conférence des présidents d’université . Plus encore, les initiatives pédagogiques sur le terrain sont très en avance sur le débat politique et n’attendent que d’être reconnues et encouragées. Enfin, la croissance des filières de substitution en bachelor met le service public au pied du mur », estime Laurent Batsch, dans une chronique pour News Tank, le 03/11/2017. Il analyse la situation après la communication du plan étudiants du gouvernement, le 30/10/2017.

Critiquant les réactions des différents partis politiques — « Ils ont rappliqué dare-dare, le plan média en bandoulière » —, il estime qu’« il y a de solides raisons d’être confiant, y compris dans la traversée de turbulences estudiantines, le cas échéant ».

« Mais il faudra aussi à ce gouvernement, chemin faisant, ajuster la trajectoire », prévient Laurent Batsch. Il souligne en particulier la nécessité d’« afficher une ambition pour la licence, et pas seulement pour les procédures d’accès, reconnaître et valoriser les initiatives des universitaires qui ont anticipé les tendances lourdes, encourager et chiffrer la croissance des filières de licence technologique d’une part et de licence “préparatoire” aux masters d’autre part ».


Les réactions politiques au plan du gouvernement

Le fumet de la sélection et la silhouette des AG étudiantes les font frétiller. Ils ont rappliqué dare-dare, le plan média en bandoulière.

L’ex-ministre éphémère de l’éducation, Benoît Hamon Député @ 11e circonscription des Yvelines
, celui qui avait démissionné de son poste une semaine avant le jour de la rentrée scolaire, a retrouvé dans Libération du 31 octobre l’argumentaire en kit du militant étudiant, dont il n’a jamais vraiment dépassé la formation.

Thierry Mandon Secrétaire général @ Conseil national du commerce
, sur France Inter, est amnésique. La rentrée 2017, la pire de toutes, lui revient ainsi qu’à ses prédécesseurs qui ont laissé venir sans agir. Le même déplore gravement que le gouvernement « aille beaucoup trop vite », on croit rêver. Et d’en rajouter sur les droits d’inscription pour agiter l’épouvantail.

Les insoumis, ayant « perdu le point » sur le code du travail, disent souhaiter mettre les étudiants dans la rue et on peut les croire ; ils ont un coup à jouer, juste un coup. Histoire de points et de jeux.

Quant aux LR, ils campent sans conviction sur la position symétrique : avec eux, pas de demi-mesure, mais la sélection franche et avouée, c’est promis. Cause toujours. Il nous souvient que l’action la plus marquante du Wauquiez Président de la commission Économie (tourisme, économie sociale et solidaire, enseignement supérieur, recherche, innovation, numérique, attractivité internationale) @ Régions de France • Président… ministre de l’ESR fut de généraliser la compensation des notes d’examens pour les étudiants en licence, afin d’en baisser la sélectivité.

Les atouts dont dispose Frédérique Vidal

Alors dans cet environnement, la ministre Frédérique Vidal a un certain mérite de préparer en urgence une rentrée sous pression démographique et financière. Heureusement pour elle, sur sa route, il n’y a pas que des obstacles, elle dispose même de quelques atouts.

En particulier, elle peut  rebondir sur la perception, très large dans l’opinion, de l’absurdité du système révélée par la généralisation du tirage au sort. Les appareils politiques qui ressassent le baratin démagogique auront du mal à convaincre dans le débat public.

Une évolution profonde des mentalités dans le milieu universitaire, pas seulement à la CPU »

Le gouvernement peut aussi s’appuyer sur l’évolution profonde des mentalités dans le milieu universitaire, pas seulement à la CPU Conférence des présidents d’université . Plus encore, les initiatives pédagogiques sur le terrain sont très en avance sur le débat politique et n’attendent que d’être reconnues et encouragées. Enfin, la croissance des filières de substitution en bachelor met le service public au pied du mur.

Il y a donc de solides raisons d’être confiant, y compris dans la traversée de turbulences estudiantines, le cas échéant. Mais il faudra aussi à ce gouvernement, chemin faisant, ajuster la trajectoire.

Lycées : pas de bouleversements 

Côté lycées, le renforcement des procédures d’orientation est à saluer sans excès ; il ne faudrait pas sous-estimer ni l’ampleur du travail d’orientation déjà existant ni les difficultés de l’étendre.

Les lycées évolueront doucement. Pas de bouleversement de ce côté-là, où la réforme du baccalauréat retiendra davantage l’attention.  

Les rectorats ont du souci à se faire »

La contrainte reste localisée à deux niveaux. Les rectorats ont du souci à se faire, qui devront affecter les bacheliers recalés ; la procédure sur les admissions en master leur en donne un avant-goût. La discussion avec les établissements sur leurs capacités d’accueil sera intéressante…

C’est évidemment au niveau de chacune des universités que la tâche s’annonce la plus ardue. Elles devront faire des choix d’orientation parmi un nombre considérable de candidats, sur des critères opposables juridiquement ; lourde, très lourde procédure…

Elles devront aussi monter des programmes de mise à niveau, qui n’auront de sens que s’ils sont consistants. Et naturellement, le « cadrage national » des « attendus » viendra leur mettre une contrainte supplémentaire.

L’enjeu de la diversification de la licence

On a bien compris que le ministère promeut un « plan étudiants » et pas un « plan licence ». La nuance est de taille. Sans doute, s’agit-il de ne pas laisser le monopole du « social » aux appareils estudiantins. Mais il n’est pas sûr que cette option tienne la route dans la durée pour deux raisons.

  • L’une, de fond, est que la réponse structurelle à la massification de la licence ne peut procéder que de sa diversification : pas seulement dans ses rythmes, mais aussi et surtout dans ses voies.
  • La seconde est que la réforme, quel que soit son nom, sera construite et mise en œuvre, non par les étudiants, mais par les enseignants. À trop focaliser sur la rhétorique étudiante, on risque de négliger ceux qui feront le boulot.

Or, les deux aspects (diversification et enseignants) sont étroitement liés parce que les enseignants les plus engagés dans l’action réformatrice sont les mêmes qui ont impulsé des voies de licence alternatives au standard. Des voies qui ne demandent qu’à être reconnues, valorisées et étendues.

L’investissement des enseignants-chercheurs

Les réformateurs n’attendent pas des paroles réconfortantes, mais simplement que le ministère cesse d’ignorer ses avant-postes.

En effet, le plan demandera beaucoup d’investissement aux enseignants-chercheurs, à ceux-là mêmes qui ont été recrutés pour leur performance en recherche. Le risque vient de là. Non pas qu’il faille anticiper un mouvement d’opposition des enseignants-chercheurs.

Recruter des enseignants et redonner du lustre à la licence

Les universitaires peuvent éprouver le sentiment légitime de devoir gérer encore et toujours les contradictions de l’ensemble du système. Les appels moralisants à la conscience professionnelle des universitaires seraient très contre-productifs ; à éviter absolument. Il faudrait plutôt aller dans deux directions.

  • La première est de concrétiser très vite le recrutement d’enseignants-chercheurs et non-chercheurs pour le premier cycle. Pas du saupoudrage de postes, mais le recrutement d’équipes entrantes et volontaires pour construire la licence dans sa diversité. Sans doute faudrait-il également constituer un corps de professeurs associés du premier cycle, sur le modèle des PAST Enseignants-chercheurs associés et invités des universités .
  • La seconde direction est de redonner à la licence universitaire tout son lustre. Peut-on ignorer le dépit des enseignants les plus entreprenants dont les filières de réussite en licence sont condamnées à rester confidentielles ?

Or, le plan n’étaye pas une vision de la licence universitaire. Certes, on intègre la modularité des rythmes et l’année de césure, fort bien. Mais rien, ou si peu, sur les voies de réussite. Pas d’avis politique, pas de signal de reconnaissance, pas de portage politique de la diversité des missions de la licence.

La voie technologique qui est la réponse structurelle à la massification n’existe pas officiellement, comme si elle n’intéressait pas les pouvoirs publics.

  • Rien sur les IUT dont on a l’impression que le seul nom suscite des réticences bien mal venues. C’est paradoxal, alors que l’augmentation des places de BTS est bel et bien chiffrée dans le plan.
  • Rien non plus sur les très belles licences sélectives qui recrutent leurs étudiants dans le même vivier que celui des classes préparatoires.

Une indifférence injuste

Cette indifférence manifeste est à la fois injuste vis-à-vis des acteurs et regrettable pour le déploiement d’une licence universitaire fière de ses voies de réussite. De sorte que l’expression d’une sorte de réaction d’orgueil de la part des universitaires ne serait pas pour surprendre.

Afficher une ambition pour la licence »

Il faudra bien afficher une ambition pour la licence, et pas seulement pour les procédures d’accès, reconnaître et valoriser les initiatives des universitaires qui ont anticipé les tendances lourdes, encourager et chiffrer la croissance des filières de licence technologique d’une part et de licence « préparatoire » aux masters d’autre part.

C’est à la fois un enjeu élémentaire d’équité à l’égard des réformateurs, et un enjeu politique de développement de la licence dans toute la largeur de sa gamme. Car les deux vont ensemble : pour impulser des transformations stratégiques, il faut compter sur des acteurs de terrain. Est-il politiquement difficile de dire qu’ils ont tracé la bonne voie, et que celle-ci sera encouragée ? De soutenir en paroles et en actes la nécessaire et positive diversification des voies de réussite en licence ?

Les acteurs ne sont pas juste bons à monter des propédeutiques et à astiquer des attendus »

La diversification de la licence peut seule assurer l’ouverture quantitative et sociale du premier cycle, elle est la meilleure réponse politique et démocratique aux tenants du statu quo. Il y a fort à parier que l’inflexion viendra vite, quand les acteurs de terrain témoigneront qu’ils ne sont pas juste bons à monter des propédeutiques et à astiquer des attendus, mais qu’ils savent aussi promouvoir des voies d’excellence sur tout le spectre de la licence.

Laurent Batsch

Email : laurent.batsch@dauphine.fr

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Parcours

Dauphine - PSL
Professeur
Fondation Dauphine
Président
Dauphine - PSL
Président
Dauphine - PSL
Directeur de l’IUP gestion de patrimoine
Dauphine - PSL
Fondateur du master management de l’immobilier
Lycée du Val-de-Marne
Enseignant

Fiche n° 3158, créée le 24/03/2014 à 14:21 - MàJ le 24/11/2020 à 16:38

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