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Projet de LPPR : « 5 200 nouveaux recrutements » à venir, un « signal clé pour les jeunes » (P. Mauguin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°185545 - Publié le 12/06/2020 à 16:07
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Philippe Mauguin -

« Nous pouvions craindre qu’avec l’épidémie de Covid-19 et la forte crise économique dans laquelle nous allons nous retrouver au cours des prochains mois, la LPPR Loi de programmation pluriannuelle de la recherche passe à la trappe du fait de la mobilisation de l’argent public nécessaire pour soutenir les PME Petites et moyennes entreprises , éviter un chômage massif, réinvestir dans les hôpitaux, etc. », déclare Philippe Mauguin P-DG @ Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)
, P-DG Président(e)-directeur(rice) général(e) d’Inrae, le 11/06/2020. Un risque accentué selon lui par les « divergences de vues au sein de la communauté scientifique sur la manière d’utiliser les outils prévus dans le texte ».

« Je suis donc satisfait que le projet de loi ne soit pas repoussé à 2022 ou après », ajoute-t-il, soulignant que « les moyens avancés dans le projet de LPPR sont les premiers annoncés après la crise du Covid-19, avant même le plan pour l’hôpital ou pour l’éducation ».

Réagissant, dans le cadre de cette interview pour News Tank, au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2030 présenté au Cneser Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche le 12/06/2020, le P-DG d’Inrae identifie un deuxième « signal positif » du texte : il prévoit « non seulement de stopper l’érosion continue des emplois [scientifiques] permanents, mais aussi d’ajouter 5 200 nouveaux recrutements au cours des prochaines années ».

« C’est un signal clé pour les jeunes qui hésitent à s’engager dans la recherche de notre pays. »

Concernant l’augmentation annoncée du préciput à 40 % du montant des contrats de recherche ANR Agence nationale de la recherche , Philippe Mauguin met en avant un enjeu et point de vigilance : « La manière dont nous gèrerons ensemble — les équipes, le site et l’établissement national — la répartition de ce préciput ».

« Ce financement doit servir à soutenir la politique de site des établissements hôtes, mais ce sont également des moyens importants pour les organismes de recherche, afin de garantir le renforcement de leur politique scientifique nationale et d’assumer une forme de solidarité ou d’aide envers autres équipes de recherche. »

Emploi scientifique, mise en place des « chaires de professeur junior », des CDI Contrat à durée indéterminée de mission, financement de la recherche, contrats doctoraux et « simplification » des unités de recherche : Philippe Mauguin revient sur différentes mesures prévues dans le projet de LPPR porté par Frédérique Vidal Conseillère spéciale du président @ European Foundation for Management Development (EFMD)
, ministre de l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation .

Il s’agit du premier volet d’une série d’articles sur les réactions et analyses des dirigeants d’organismes de recherche sur le projet de LPPR.


Philippe Mauguin répond à News Tank

Quelles étaient vos principales attentes, ainsi que celles de la communauté scientifique, par rapport à ce projet de loi ?

Il y a un peu plus d’un an, dans le cadre des groupes de travail de préparation de la LPPR Loi de programmation pluriannuelle de la recherche , nous avons fait des constats clairs sur le risque de décrochage de la recherche française à l’échelle internationale. Un risque causé notamment par :

  • le niveau de financement public de la recherche en Francequi n’avait pas progressé contrairement aux autres puissances scientifiques ;
  • un problème majeur d’attractivité de la recherche publique française par rapport à ses homologues.
Une érosion de l’emploi scientifique d’environ 10 % en dix ans dans les ONR »

Nous avons donc préconisé un changement de braquet dans les investissements, ce qui n’avait pas été fait depuis 10 ou 15 ans. En effet, si les budgets avaient été globalement préservés, cela s’était fait en euros courants et pas en euros constants, et sans prendre en compte l’évolution des rémunérations. Cela s’était donc traduit par une érosion de l’emploi scientifique d’environ 10 % en dix ans dans les organismes nationaux de recherche — c’est plus compliqué à calculer dans les universités, dans la mesure où l’augmentation de l’emploi est liée à celles des effectifs étudiants.

En outre, les niveaux de rémunération des personnels de la recherche sont bas par rapport aux autres catégories de fonctionnaires, et ils ne sont pas attractifs par rapport aux autres pays de l’Europe et OCDE Organisation de coopération et de développement économiques .

Ces considérations ont-elles été prises en compte dans le projet de loi présenté au Cneser Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche le 12/06/2020 ?

Par rapport à ce constat, je vois des éléments positifs dans les annonces de la ministre.

Tout d’abord, nous pouvions craindre qu’avec l’épidémie de Covid-19 et la forte crise économique dans laquelle nous allons nous retrouver au cours des prochains mois — et pas des années je l’espère —, la LPPR passe à la trappe du fait de la mobilisation de l’argent public nécessaire pour soutenir les PME Petites et moyennes entreprises , éviter un chômage massif, réinvestir dans les hôpitaux, etc.

Des divergences de vues au sein de la communauté scientifique »

Il y avait un risque d’autant plus important que ce projet soit repoussé qu’il y avait des divergences de vues au sein de la communauté scientifique sur la manière d’utiliser les outils prévus dans le texte. Cela aurait pu conduire à un arbitrage consistant à différer le projet de loi.

Je suis donc satisfait que le projet de loi ne soit pas repoussé à 2022 ou après. Même si c’est un moment difficile pour le pays, la recherche doit être aux avant-postes des investissements pour l’avenir. Or, les moyens avancés dans le projet de LPPR sont les premiers annoncés après la crise du Covid-19, avant même le plan pour l’hôpital ou pour l’éducation.

Ajouter 5200 nouveaux recrutements au cours des prochaines années »

En outre, j’avais plaidé avec Manuel Tunon de Lara Professeur des universités - praticien hospitalier @ Université de Bordeaux
, président de l’Université de Bordeaux, et Philippe Berta Député Modem de la 6e circonscription du Gard @ Assemblée nationale (AN) • Professeur classe exceptionnelle @ Université de Nîmes • Secrétaire général @ Eurobiomed
, député, pour donner un signal clair sur l’emploi permanent. Ce n’était pas gagné non plus. Donc, c’est aussi un signal positif du projet de loi : non seulement de stopper l’érosion continue des emplois permanents, mais aussi d’ajouter 5200 recrutements au cours des prochaines années. C’est un signal clé pour les jeunes qui hésitent à s’engager dans la recherche de notre pays.

Le 09/06/2020, le « G5 » des organismes nationaux de recherche - CNRS Centre national de la recherche scientifique , Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale , Inria Institut national de recherche en informatique et en automatique , CEA Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives , Inrae - a eu un entretien avec Frédérique Vidal, ministre de l'Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation . « Il s’agissait d’une réunion informelle, au cours de laquelle nous avons parlé de toute l’actualité », retrace Philippe Mauguin.

« Elle a évoqué les points clés de la LPPR, le calendrier qu’elle allait suivre, notamment le passage au Cneser, ainsi que les sujets sur lesquels la concertation allait s’engager. L’idée était d’expliciter certains points pour bien partager le même niveau d’information, comme elle va le faire avec le Cneser. »

Est-ce également un signal dans la discussion sur les « chaires de professeur et directeur de recherche junior », ou « tenure track » à la française ?

Le risque pointé par les organisations syndicales trouve une réponse »

Oui, la question des tenure track, qui est contestée par un certain nombre de membres de la communauté, est indissociable de la question des emplois permanents. Si elles avaient été mises en place pour combler une baisse des emplois permanents, j’aurais été beaucoup plus réservé sur le sujet. Mais le maintien des emplois permanents pour les dix prochaines années étant confirmé au moins au niveau actuel voire plus, le risque pointé par les organisations syndicales trouve une réponse.

Et les tenure track s’inscrivent dans un contexte spécifique : elles se feront sur une base volontaire dans les établissements, et peuvent permettre de répondre aux difficultés de recrutement par voie de concours que rencontrent certaines disciplines en tension, comme les mathématiques ou l’économie, dans lesquels les concours sont souvent infructueux.

Mettre en place des garanties »

Il faut que ces processus de recrutement soient mis en place avec des garanties, notamment qu’ils soient basés sur l’évaluation par des comités scientifiques de façon transparente, et qu’ils se traduisent par des titularisations, sauf exception. Mais c’est un dispositif intéressant en tant que complément, et pas comme outil principal.

J’espère que le Cneser et le débat parlementaire viendront conforter ces orientations.

Qu’en est-il des CDI de mission ?

Il en va de même pour les contrats de mission : ils ne doivent pas se substituer aux postes permanents. Mais sur un projet de recherche qui dure six ans, il est préférable d’avoir un contrat de la même durée plutôt que de multiplier les CDD Contrat à durée déterminée .

Les groupes de travail de préparation de la LPPR avaient « demandé une revalorisation des contrats doctoraux, qui sont à un niveau insuffisant actuellement », rappelle le P-DG d’Inrae, « donc obtenir une revalorisation de 30 % de ces contrats est un élément positif ».

« Concernant la création de contrats doctoraux et postdoctoraux de droit privé, c’était une demande forte des Epic, qui étaient limités à trois ans faute d’un statut pour les contrats doctoraux dans le code du travail. »

Outre les salaires, un enjeu soulevé est celui du financement des travaux de recherche. Le projet de loi répond-il aux attentes de la communauté sur ce point ?

Concernant les financements par appels à projets, avoir des taux de réussite de 15 %, parfois même 11 %, à des appels à projets de l’ANR Agence nationale de la recherche est extrêmement décourageant pour la communauté scientifique française, de nombreux projets de grande valeur ne pouvant être financés. Si nous allons vers 30 % de taux de sélection, ce sera un réel progrès pour les équipes.

AAP : nous ne pouvons pas rester à des taux de succès ridicules »

Il faut accorder des moyens supplémentaires à l’ANR, car nous ne pouvons pas rester à des taux de succès ridicules, en nous mettant au standard international des agences de financement de la recherche. Après, la question est : est-ce que c’est suffisant ?

Évidemment, nous souhaitons avoir des moyens supplémentaires pour améliorer la dotation de base des équipes. C’est pour cette raison que nous sommes demandeurs de moyens supplémentaires et d’un retour d’une partie des financements compétitifs vers les laboratoires et les établissements, en plus de ce qui est accordé au projet.

Ce qui est proposé par la ministre et que nous soutenons, c’est d’avoir un retour (un préciput) qui monte à 40 %. Pour l’instant, le préciput est de 11 % et les établissements peuvent en outre prélever 8 % de frais de gestion sur les contrats des projets de recherche financés par l’ANR. Si cette hausse est confirmée, cela signifiera qu’à chaque fois qu’un projet lauréat d’un AAP Appel à projets gagnera 100, 40 de plus reviendront à l’équipe, l’établissement hébergeur et l’organisme national. Au niveau global, le retour vers les opérateurs passerait de 50 à 450 M€, ce qui n’est pas négligeable.

Préciput : un point de vigilance sur la répartition du retour vers les opérateurs »

La manière dont nous gèrerons ensemble — les équipes, le site et l’établissement national — la répartition de ce préciput sera également un enjeu et un point de vigilance importants. Ce financement doit servir à soutenir la politique de site des établissements hôtes, mais ce sont également des moyens importants pour les organismes de recherche, afin de garantir le renforcement de leur politique scientifique nationale et d’assumer une forme de solidarité ou d’aide envers autres équipes de recherche.

Il y a des équilibres, et il est important que le point de vue de l’ensemble des acteurs soit entendu.

Le fait que le gouvernement assume cette volonté d’augmenter le préciput est une étape forte. Maintenant, il faut que ce soit confirmé et peut-être renforcé lors du passage du projet de loi en conseil des ministres puis lors du débat parlementaire. 

Que pensez-vous des mesures de « simplification » et de « clarification » des unités de recherche proposées dans le projet de loi ?

Il est symboliquement intéressant que le gouvernement reconnaisse dans la loi le rôle des UMR Unité mixte de recherche . On a souvent tendance à opposer les systèmes, avec les universités d’un côté, et les organismes nationaux de l’autre, qui seraient en compétition ou non coordonnés. C’est faux. Nous avons sur le terrain des maillons essentiels à la fécondation croisée entre les établissements d’enseignement supérieur et les ONR Organismes nationaux de recherche  : nos unités mixtes de recherche.

À Inrae, les deux tiers de nos unités de recherche sont des unités mixtes. C’est majeur.

Une complexité administrative inhérente aux UMR »

Toutefois, les atouts des UMR s’accompagnent d’une complexité administrative inhérente. Pour une directrice ou un directeur d’unité, il n’est pas simple d’avoir quatre, cinq ou six tutelles, chacune avec son système de gestion.

Le chantier de simplification est une bonne chose. Nous avons démarré le travail en Lorraine, pour identifier les points de lourdeur administrative, les redondances, etc. Ce n’est pas du travail législatif, mais c’est extrêmement important. Et la mention de ce chantier dans le projet de loi donne un signal : il faut que les établissements fassent un effort pour harmoniser leur système de gestion.

Comment s’est déroulée l’expérimentation de ce chantier en Lorraine, en 2019 ?

Nous avions discuté de cette nécessité d’harmonisation dans le cadre de la préparation de la LPPR. Et, avec la DGRI Direction générale de la recherche et de l’innovation du Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et les établissements — la CPU Conférence des présidents d’université , les ONR Organismes nationaux de recherche , etc. — nous avons pensé qu’il fallait tester cela de façon concrète avec des utilisateurs. Ce sont eux qui vivent ces complexités au quotidien, nous leur avons donc demandé d’identifier les sources de ces complexités.

Une expérimentation en Lorraine, car il y a un bon écosystème »

L’expérimentation impliquait l’Université de Lorraine, Inria, le CNRS, l’Inserm et Inrae ; le site a été choisi, car il a un bon écosystème.

Une liste de points à améliorer a été établie et présentée lors du dernier comité de pilotage du projet. Certaines améliorations ont déjà pu être engagées, car elles ne relevaient que des acteurs locaux, comme la présidence de l’université, les délégués régionaux ou présidents de centre pour les organismes, etc. Pour les autres, nous avons demandé au ministère de ne pas s’arrêter là et de préparer avec le groupe des décisions opérationnelles.

Philippe Mauguin


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